Merci Marielle de ce très beau témoignage, très touchant
Cela me rappelle le départ de mon oncle, un oncle par alliance, adorable, un vrai coup de

nous unissait.
Lorsque j'avais à peine 30 ans, j'ai été opérée à trois reprises en cinq semaines. Trois anesthésies générales, une transfusion sanguine nécessaire et suite à tout cela, une immense fatigue.
J'étais dans mon lit de retour à la maison, sans forces, sans goût, incapable de m'occuper de ma petite de 2 ans, de mon grand d'à peine 5 ans, et encore moins de la maison.
Mon mari avait épuisé tous ses congés, ma mère était venue et repartie très vite, et alors je me souviens qu'un soir j'ai vu un homme en pardessus de drap bleu-marine, se pencher vers moi, m'embrasser avec tendresse et me dire qu'il était là pour veiller sur moi et s'occuper des enfants.
A l'époque cet homme était un célibataire de 60 ans, sans aucune expérience de la vie de famille, encore moins des enfants, un original, pour ne pas dire un marginal, qui offrait un repas à un inconnu dans la rue, souvent une nuitée aussi aux démunis de passage, et je pense qu'il a aussi dépanné financièrement pas mal de monde! Un libre-penseur qui refusait de rentrer dans le rang rien que pour faire plaisir à la majorité.
D'un coup, la maison a été calme, enfin, j'entendais surtout les portes des placards qui s'ouvraient, se fermaient, les bruits de vaisselle, et ces mots en réponse au babillage incessant de ma fille " Mais oui, tu as raison, mais oui tu es belle, tiens, prends un bonbon, un seul ... mais oui, tu as raison ..."
J'étais bercée par leur bavardage de loin, et je sombrais pourtant toujours ... Il s'occupait de moi avec infiniment de délicatesse, remontait mes oreillers, aérait la chambre, me préparait mes repas et m'aidait du mieux, mais j'étais spectatrice de ce qui se passait.
Et puis, un soir, les enfants étaient couchés et les deux hommes ( mon mari et son oncle, donc) dînaient tous deux à la cuisine.
J'ai réalisé que j'allais "partir" si je ne réagissais pas, et dans un effort surhumain, je me suis levée, j'ai traversé le couloir, descendu les quelques marches menant au reste de la maison qui est toute en longueur, et je me suis encadrée dans la porte de la cuisine en me tenant aux murs.
Ils ont eu un choc, croyant voir un fantôme

J'ai demandé à ce que chacun d'eux me prenne par un bras et me soutienne pour aller marcher dehors, à une heure ou personne ne nous verrait.
J'ai senti l'air vif entrer dans mes poumons, comme une seconde naissance, j'ai eu envie de m'accrocher, et à partir de ce moment, ma convalescence a commencé.
Une fois remise, je m'étais promis que si un jour cet homme était dans la peine, je ferais tout mon possible pour lui, en retour. Et ce moment est arrivé ... 22 ans plus tard, ou entre temps, il s'est marié et a vécu heureux 20 ans avec sa femme. Après son veuvage, sa santé a nécessité des soins importants, et j'ai campé dans son appartement parisien, pour être près de lui jusqu'au bout.
Le jour de son enterrement, avec mon fils, nous étions dans le corbillard, deux sièges en vis à vis, le long du cercueil, et ma main était posée sur le bois, comme si elle était sur son cœur.
Le chauffeur conduisait en silence, tout était feutré, silencieux ... trop silencieux dans cette journée grise de fin mars parisienne. Soudain, sans même réfléchir à ce que je disais, j'ai demandé au chauffeur si le véhicule était équipé de la radio? Surpris, il s'est retourné vers moi, pour être certain que je lui parlais bien à lui, sans doute!
"Oui, Madame" me dit'il.
"Pouvez-vous trouver une station musicale, car l'homme qui est là aimait la vie, était généreux, et surtout n'aimait pas du tout ce qui était trop sérieux".
Et voilà que le corbillard continua sa route vers un célèbre cimetière parisien, sur un premier hymne entraînant, du bien nommé Georges ( comme cet oncle défunt ), grattant sa guitare et chantant "Les copains d'abord", titre prédestiné
Arrivés à l'entrée, le chauffeur abaissa sa vitre pour demander l'accès, et là, on a pu voir la stupeur du réceptionniste qui jeta un rapide coup d’œil à l'intérieur pour s'assurer qu'il y avait bien "du monde mort"
En descendant, j'ai demandé au chauffeur s'il ne pensait pas que nous manquions de respect, et ses paroles ont été que nous avions sans doute fait un sacré plaisir à cet homme, et que ce clin d’œil renvoyait aussi beaucoup d'amour et d'attention vers lui, ce qui était vrai.
Alors, oui, dans ma maison maintenant, là même d'ou je vous écris, c'est sur une petite table de bridge qui était à lui, que j'ai installé mon coin bureau, et lorsqu'il a fallu libérer son appartement en étages, j'ai au bout de quelques voyages entre l'appart et la voiture garée loin, troqué ma place avec un sans-abri, assis sur un muret devant la boulangerie du coin. J'ai gardé ses affaires et sa sébile, lui troquant deux chaises sous le bras pour suivre mon mari jusqu'à la voiture. Quand celui-ci s'est retourné et a vu la scène, tout comme les nombreux clients de la boulangerie en ce dimanche matin, un éclat de rire général s'est propagé.
Il a fait ainsi plusieurs voyages, et bien que ne parlant pas du tout la même langue, le contact est passé. A la fin, nous lui avons fait choisir dans le vestiaire tout ce qui pourrait lui faire plaisir et lui convenir, étant sensiblement du même gabarit. Son choix s'est porté sur du linge de corps de qualité, des chaussettes neuves, un blouson, une ceinture et des chaussures.
De mon côté, j'ai remercié les gens qui donnaient leur petite monnaie en sortant de la boutique ( mais non, j'ai pas gardé les sous!!!), et durant cet échange, je pensais à mon oncle qui devait nous observer du coin de son nuage, et sans doute approuver cette scène.
Voilà, en effet célébrons la Vie et gardons au cœur les moments de partage authentiques avec ceux que nous aimons, qu'ils soient festifs ou dans l'émotion ...
Love & ligth
Je rédigeais, et je ne vois qu'après coup ton très beau message André

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