Je me permets de partager avec vous cet article paru dans la dernière édition du journal fribourgeois L'Objectif :
Le fossé entre médecine conventionnelle et thérapies alternatives se comble peu à peu, mais tout reste encore à faire pour qu'émerge une saine complémentarité.Jean-Marc Angéloz du journal L'Objectif a écrit :Un projet pilote va regrouper médecin et thérapeutes
L'opposition entre médecine conventionnelle et thérapies alternatives est-elle en train de disparaître? L'année dernière, la votation du peuple suisse sur l'inscription de la médecine complémentaire dans le catalogue de base de l'assurance-maladie (67 % de oui) a montré que pour la population la complémentarité est évidente. A Fribourg, l'idée va se concrétiser dans un projet pilote qui va installer, dans un même lieu, un médecin généraliste et sept ou huit thérapeutes - nutritionniste, homéopathe, masseur, etc. - qui vont tester les collaborations possibles.
Le projet pilote va démarrer cet automne à la rue St-Pierre 2 à Fribourg, sous l'égide de l'ASCA, la fondation pour la reconnaissance et le développement des thérapies alternatives et complémentaires. La direction médicale est assurée par le médecin généraliste FMH André Thurneysen, spécialiste en médecine manuelle, acupuncture, homéopathie, ancien responsable de la chaire d'homéopathie à la Faculté de médecine de l'Université de Berne. Ancien élève de Mme Kousmine, le docteur a également un diplôme de médecine tropicale.
UN RAPPROCHEMENT
Il n'y a pas beaucoup de dialogue entre thérapeutes et médecins. "Et comme beaucoup de patients vont consulter à gauche et à droite, personne ne sait ce qui se passe chez l'autre. Les choses commencent à s'améliorer. Une bonne moitié des médecins de premier recours pratiquent une des méthodes dites complémentaires ou non académiques dans le cadre de leur cabinet, car ils se rendent compte que ce dont les gens souffrent, ce n'est pas toujours ce qu'ils apprennent en faculté" constate le Dr Thurneysen.
MÉDECINE RÉPARATRICE ET MÉDECINE RÉGULATRICE
Reste que la médecine conventionnelle et les thérapies complémentaires incarnent deux courants de pensée. La médecine officielle est principalement réparatrice, souligne le Dr Thurneysen, avec un outillage perfectionné, fantastique, qui rend beaucoup de services dans les situations qui s'y prêtent, notamment dans les soins intensifs et la chirurgie. "On est bien contents d'y avoir recours" dit le médecin généraliste FMH. Mais lorsque les gens se sentent mal dans leur peau, qu'ils dorment mal, digèrent mal, lorsqu'on fait des examens de laboratoire et qu'on ne trouve rien, comme c'est le cas 70 fois sur 100, c'est là qu'intervient une autre façon d'aborder les choses: "On parle de troubles fonctionnels et on essaie alors de comprendre ce qui est déréglé, pourquoi les forces naturelles de l'organisme n'arrivent plus à mettre les choses en équilibre. C'est une approche plutôt régulatrice, qui cherche à comprendre pourquoi le système de régulation est perturbé. Pour y parvenir, il est primordial d'écouter le patient, et de l'observer.
ÉTERNELS GUÉRISSEURS
Cette approche est aussi vieille que l'humanité, explique l'ancien professeur d'université. "Il y a toujours eu des guérisseurs, des chamanes, des gens qui avaient le don, qui comprenaient ce genre de choses. Actuellement, beaucoup de gens ont ce don, mais ils n'ont pas fait d'études de médecine. Selon les législations, ils ont une place plus ou moins tolérée, voire aucune".
En Suisse, le canton d'Appenzell était le plus libéral. Plusieurs autres ont modifié leur législation, les thérapeutes ayant fait preuve de formation suffisamment adéquate pour leur permettre de courir le risque de les laisser agir: "Les naturopathes ou thérapeutes non-médecins sont souvent très bien formés et connaissent bien leurs limites. D'autres ont une formation plus restreinte, connaissent leur méthode, par exemple la kinésiologie, mais ont un champ de vision plus limité. Il faut les rendre attentifs aux possibilités de se renseigner, d'avoir le "red flag" c'est-à-dire de voir le petit signal d'alarme qui exige le renvoi à quelqu'un d'autre. Je souligne en passant le mérite de l'ASCA qui s'est donné pour objectif d'établir des règles, normes ou niveaux de formation qui permettent d'assurer une certaine qualité des prestations" dit le Dr Thurneysen.
PLUS DE CENT SPÉCIALITÉS
Dans les thérapies complémentaires, il existe plus d'une centaine de spécialités. "La liste est presque interminable, je ne les connais pas toutes. Il y a des souches qui en regroupent plusieurs, et certaines sont très limitées. Mais, indépendamment de la méthode, je peux voir si l'évolution de la pathologie ou de la maladie va dans le bon sens" dit le médecin.
LE RÔLE DU MÉDECIN
Avec son projet pilote, l'ASCA a eu l'idée de joindre les deux camps, celui du médical et du non-médical, tout en maintenant la qualité des prestations. Quel sera le rôle du médecin? "J'organiserai des cycles de formation et des cercles de qualité pour les thérapeutes, j'aurai un cabinet de consultation à côté de ceux d'un ostéopathe, d'une homéopathe, d'une nutritionniste, d'une dame qui pratique des massages. Ces thérapeutes sont déjà en place, on en cherche encore quelques-uns pour compléter la palette d'offres, si possible dans des disciplines pas encore représentées ici. Il y aura notamment une spécialiste de l'irrigation du colon. Tous les locaux ont été repris par l'ASCA, qui est en train de les rénover et de les adapter.
CERCLES DE QUALITÉ
Selon le contrat passé avec l'ASCA, une fois par mois, le médecin organisera un cercle de qualité avec les thérapeutes. Cette méthode de formation continue est assez répandue dans le monde médical. Des groupes de praticiens se retrouvent pour approfondir une question ou un problème. Par exemple comment se soigne une pneumonie. Une personne est chargée de préparer la séance en revoyant la littérature récente — mesures diagnostiques, antibiotiques, etc. — et chacun présentera son expérience des cinq dernières années. "Nous parlerons peut-être de maux de tête, de fièvre, d'eczémas, et on verra comment les différentes thérapies abordent le sujet. Cela suscitera des idées, des confrontations et permettra à chacun de voir s'il intervient bien par rapport à tel ou tel problème." Le médecin espère insuffler du dynamisme dans l'équipe qui prendra elle aussi des initiatives. Il assume une supervision médicale qui implique, pour les thérapeutes, d'accepter un regard médical ainsi qu'adhérer à une formation continue plus substantielle.
De leur côté, les gens pourront s'adresser directement à tel ou tel thérapeute, ou au médecin. Il est également possible que deux thérapeutes se mettent ensemble pour s'occuper d'un patient. Le cercle de qualité peut aussi discuter d'un patient. "C'est un projet pilote. Je pense que cette collaboration constitue l'avenir de la médecine. C'est une solution plus économe, qui évitera au patient d'aller voir d'innombrables thérapeutes ou médecins" espère le Dr Thurneysen.
En ce qui concerne le financement des prestations, rien ne change. Les prestations médicales sont prises en charge par l'assurance-maladie de base, tandis-que les thérapies complémentaires sont à payer par le patient ou par son assurance complémentaire, dont la cotisation mensuelle s'élève entre 15 et 30 francs selon les compagnies.
MÉDECINE DU FUTUR
C'est aussi l'idée de Bernard Berset, président de l'ASCA: "Nous nous sommes demandé quelle sera la médecine du futur. Nous sommes persuadés que la médecine classique et les médecines complémentaires doivent pouvoir collaborer. C'est la thèse que défendent de nombreux médecins, dont le Dr Thierry Janssen, chirurgien et psychothérapeute belge, ou le professeur Christian Trepo, de l'Hôpital universitaire de Lyon, qui interviendra dans notre 7ème Forum "La médecine intégrée" le 8 mai à Fribourg. Nous pensons que le rapprochement entre les médecines va créer de la connaissance".
QUAND LE PEUPLE LE VEUT...
En 1992, dans le canton de Berne, une initiative populaire sollicitait la création d'une chaire de médecine complémentaire à l'université. Un grand succès: le nombre de signatures nécessaires avait été recueilli en trois mois. A tel point que le gouvernement avait chargé la faculté de médecine de trouver un compromis avec le comité d'initiative dont le Dr André Thurneysen faisait partie, dans le but d'éviter une votation. Au terme de deux ans d'âpres négociations, une chaire était créée, partagée entre quatre postes d'enseignants à 25 % et quatre postes d'assistants à mi-temps. Ainsi la faculté de Berne enseignait dès 1994 la médecine anthroposophique, l'homéopathie, la médecine chinoise et la neural thérapie. André Thurneysen a enseigné l'homéopathie jusqu'en 2008. Depuis cette date, il pratique son art à La Corbière, à Estavayer-le Lac, en attendant de diriger le projet pilote de l'ASCA à Fribourg.
[ Jean-Marc Angéloz - paru dans le journal L'Objectif - numéro 441 - du 7 au 20 mai 2010 ]
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