Bonjour
L'actualité me file parfois entre les doigts, et sans être insensible à ce qui se passe en France ou dans le monde, je prends de la distance avec les événements.
Il m'arrive d'être touchée, voire bouleversée, mais ma nature indépendante me plonge rarement dans le chaudron des réactions de masse, ce qui ne m'empêche pas d'avoir des ressentis et des actions solidaires.
Mercredi midi, lorsque mon oreille distraite a capté le flash d'infos, je suis restée interdite dans ma cuisine, prononçant à haute voix pour moi-même, comme pour taguer cet instant : " Merde, ils ont tué Cabu!"
Je ne suis pas de nature à parler grossièrement, mais en cet instant, cela résumait un abasourdissement incrédule: Ils ont tué Cabu! ... et Wolinski! ... et les autres! ...
Par la suite, apprenant l'âge des auteurs de cet acte, je me suis dit qu'ils venaient d'attenter à la vie de Cabu au même titre que s'ils venaient de trucider le gentil Casimir des mercredis de leur enfance.
J'ai en mémoire Mai 68, penchée sur le transistor de ma sœur aînée, m'appliquant à recopier à la main, les menus des invités pour ses fiançailles en ce joli mois de mai!
Pavés, manifs, slogans, explosions, cris, fumées, liberté! A 52 km à l'ouest de Paris, c'était à la fois terrifiant et excitant, tout à côté et en même temps sans péril pour l'adolescente que j'étais.
Dans les années 90', il y eu la guerre du Golfe, vécue depuis l’Île de la Réunion, avec un voyage aérien le jour de la fin de l'ultimatum. Nous étions une poignée "d'inconscients" dans un 747 pour rallier Paris. Souvenir mémorable d'un survol de la chaîne des Alpes et du Mont Blanc à l'heure du coucher du soleil, invités à venir le contempler dans le cockpit aux côtés du commandant de bord.
Nous sommes arrivés sans encombres, le personnel navigant étant plus nombreux que les passagers ...
Quelques émeutes locales au retour avec pour cible "les petits blancs" de France ( puisque nous étions tous des français!). Calfeutrage dans les cases et enfants gardés à la maison ... Nos proches amis locaux nous ravitaillaient en vivres. Une "zoreille" expatriée de nos amies, a eu la folie de sortir en ville, et très vite, s'est vue encerclée, sa voiture bousculée, sommée de sortir de là afin de brûler son véhicule. Il y avait encore une relative retenue à toucher aux personnes. Finalement, voyant qu'elle avait son bébé à l'arrière, le chemin s'est ouvert pour qu'elle reparte saine et sauve.
D'autres circonstances, notamment dans les années 94' et 95', de retour en proche banlieue parisienne, ont jalonnées ce côtoiement avec des actes sporadiques de violence.
Cela fait à présent la troisième saison que j'explore la vie dans la campagne reculée du sud de la Picardie, jouxtant la Marne, l'Oise et la Seine et Marne, à une enjambée de la Champagne.
Les abords sont boisés, ponctués de quelques beaux vestiges du temps de la splendeur des Ducs de Valois. La roche affleure, et un réseau terrestre et souterrain de grottes génère un abri naturel pour des champignonnières, des abris troglodytes habitables en partie, un maillage de tranchées de la grande guerre, des remises agricoles, ou d'usage plus festif, pour bonifier le champagne.
Certaines servent d'écrins à des lavoirs ou d'abris providentiels pour se garer d'une ondée.
Habitués de la région ( Reims) la trajectoire des fuyards emprunta soudain ces petits chemins de traverse bien paisibles depuis une centaine d'années.
La veille, un jeune du village me disait qu'il ne se sentait pas concerné par l'événement parisien, et là, une escorte impressionnante de forces de l'ordre en armes, ratissait les villages, fouillant les maisons en porte à porte, et comble de sa panique et de sa stupeur, occupait le terrain de son lycée soissonnais.
Pas particulièrement peureuse de nature, le fait de voir s'étendre le mouvement à moins de 10 km de mon nid, m'a quand même fait frémir... surtout à la tombée de la nuit.
Ma réflexion était que quelque part, je redoutais plus une offensive des forces de l'ordre que l'intrusion des deux frères!
Par la suite, lorsque j'ai entendu que le directeur de l'imprimerie de Dammartin en Goële où étaient arrivés les hommes, avait conversé avec eux, leur offrant un café de manière calme et posée, après avoir eu le reflex et le sang froid de faire se dissimuler son collaborateur, j'ai approuvé son attitude, ayant sans doute eu la même idée. C'est bien sûr facile d'affirmer cela de manière factice, mais en des circonstances moins dramatiques, la décision ferme et douce a déjà été mise en action, au grand étonnement de ceux qui me classaient comme paisible et ne sortant pas du rang.
En épilogue, j'ai autant de compassion pour les vies fauchées par les balles, que pour celles qui sont fauchées actuellement dans leur survivance au quotidien, comme les proches et les enfants de tous les protagonistes de cette dramatique expression.
Que la Lumière présente en chaque être, filtre et guérisse ses parts d'ombre afin de minimiser ces folles exactions
et rendre perceptible le beau et le bon en chaque incarnation
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